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A Fleur de Mots

Littérature

SENSUALITE (Extrait 19)

Alors qu’elle s’applique à faire revenir les aromates dans la sauteuse, voilà que soudain, elle sent une présence derrière elle. Elle arrête son geste, sans se retourner. Elle sait bien qu’il n’y a personne d’autre qu’elle dans la maison. Néanmoins, elle est à l’écoute. À l’écoute de ses sensations. Ce qu’elle perçoit se tient là, dans son dos, la frôlant presque. Elle a si chaud tout à coup ! D’un geste nerveux, elle remonte ses cheveux, y plantant une pince accrochée à son pull. Pour tenter d’échapper au trouble qui s’empare d’elle, elle verse les tomates dans la poêle et cela lui donne une impression de fraîcheur. Vraiment, elle a des réactions bizarres depuis quelque temps. Depuis ce rêve… À cette pensée, un souffle chaud vient se pencher sur sa nuque. Bulle ferme les yeux. Ils se ferment comme lorsque l’on ressent un grand plaisir, un soulagement, elle ne sait plus. Elle ferme les yeux pour préserver cette sensation, de peur qu’elle ne disparaisse si elle les ouvre. Deux mains semblent se poser sur ses bras maintenant, glissant vers ses poignets, guidant ses mains jusqu’au bol de crevettes. Bulle s’en saisit et ajoute les crustacés dans la sauce. Aussitôt, le parfum qui s’en dégage rappelle une fenêtre que l’on ouvre sur un port de pêche. Oui, les yeux fermés, elle peut s’imaginer se promenant sur le port de Sauzon à Belle-Île-en-Mer. Elle y avait passé quelques jours au printemps dernier en compagnie d’une amie, avant l’arrivée massive des touristes de la saison estivale. Lisette était une copine de longue date. Elles s’étaient rencontrées sur les bancs du lycée, toutes deux un peu plus timides, un peu plus effacées que le reste de la tribu d’adolescents excités et exubérants cherchant à faire sensation. Lisette était une rêveuse elle aussi. Leur amitié était sans accroche, sans débordements, si ce n’est en éclats de rire. Ensuite, il y eut l’université, les études plus soutenues, le changement de quartier de l’une, puis de l’autre, les amoureux, la vie quoi ! Chacune d’elle prit des chemins différents et elles se perdirent un peu de vue. Elles reprirent contact lorsque Lisette eut son premier enfant. Comme par miracle, elles s’étaient croisées au moment des fêtes de Noël dans une boutique du Centreville. Elles n’en revenaient pas l’une et l’autre. Depuis tout ce temps ! Combien ? Six, sept ans ? Une éternité. Bulle découvrit le ventre arrondi de son amie, fut émue de la voir presque mère. Elles avaient pris un chocolat chaud dans un petit bar au cœur du quartier Boullay, s’étaient un peu raconté leur parcours respectif. Fabrice et elle s’étaient mariés 6 mois auparavant, avant qu’elle ne perdre sa silhouette de princesse. Elles avaient échangé leur numéro de portable, Lisette avait promis de la prévenir de l’arrivée du bébé. Elle avait tenu sa promesse. À peine un mois plus tard, Bulle reçut un faire- part annonçant que le petit Sacha avait poussé son premier cri. Ensuite, la vie reprit son cours. Bulle travaillait beaucoup à cette époque, avec la fougue des jeunes artisans passionnés par leur travail. Lisette n’était pas moins occupée par son nouveau rôle de maman, d’autant qu’elle eut la surprise de tomber à nouveau enceinte trois mois après son accouchement. C’est donc un an plus tard, presque jour pour jour, qu’un second faire-part vint apporter la nouvelle : Loula venait d’agrandir la famille. Elles se donnèrent rendez-vous un jour où le ciel était bleu et la température douce au jardin japonais de l'Île de Versailles. Bulle retrouva une Lisette comblée comme peut l’être une mère entourée de ses jeunes enfants, mais aussi fatiguée. Elle n’avait plus le temps de dessiner, lui avoua-t-elle. Les enfants, la cuisine, la lessive, la maison lui laissaient peu de moments à elle, et lorsque c’était le cas, elle n’avait pas l’énergie ni suffisamment de temps pour pouvoir créer. Bulle avait bien remarqué cette petite étincelle qui ne brillait plus chez son amie, malgré le nouveau bonheur qui l’entourait. Elles s’étaient revues, pas souvent, mais s’appelaient de temps en temps. Son mari obtint une promotion dans son travail et ils partirent s’installer du côté de Toulouse. Les bambins avaient à peine deux et trois ans. C’est à ce moment-là qu’elles se perdirent à nouveau. Et voilà que dix ans plus tard, l’année dernière, Lisette avait fait sonner le portable de son amie pour lui annoncer qu’elle divorçait.

 

A suivre...

 

KinouKachou - Janvier 2018

 

 

 

 

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