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A Fleur de Mots

Littérature

SENSUALITE (Extrait 10)

Elle ne remarqua pas que Joël se trouvait derrière la porte, à la regarder d’un air qui aurait pu paraître inquiet, mais qui ne l’était pas vraiment. Qu’aurait-on pu dire du regard qu’il portait sur elle à ce moment-là ? Pour tenter de l’expliquer, il faut d’abord savoir qu’il avait soudainement abandonné son travail de taille à l’extérieur pour la suivre jusqu’ici. Il avait détecté un petit rien d’anormal lorsqu’elle lui avait dit bonjour. Quelque chose d’inhabituel émanait d’elle. Ce n’était pas grand-chose, cela ne se voyait presque pas, mais à lui, ça n’avait pas échappé. Sa démarche, même, lui sembla différente lorsqu’elle s’éloigna en direction de son paradis vert, comme elle le nommait. Elle avançait d’un pas plus aérien qu’à l’ordinaire, comme si elle était envahie d’un nouveau bonheur, et pourtant, son allure précipitée indiquait qu’elle avait un besoin urgent de trouver de l’apaisement. Prostré derrière la porte vitrée, il n’avait osé entrer, de peur de la déranger. Ce qu’il venait de voir l’intriguait beaucoup. Elle avait arrêté son pas subitement sous les fougères, retenue par une force invisible, semblait-il. Elle paraissait saisie toute entière par un sentiment qu’elle ne contrôlait pas, mais auquel il la voyait s’abandonner avec volupté. Le regard qu’il lui portait à ce moment-là était donc empreint de stupéfaction, avec, toujours, cette tendresse planquée au fond des yeux qu’elle lui inspirait. Puis il la vit se remettre en mouvement, repoussant une mèche de ses cheveux comme on cherche à écarter quelque chose qui vous brouille la vue.

Bulle s’enfonça un peu plus loin dans ce havre de silence, le regard dirigé vers le haut de l’édifice, vers la lumière. Où se cachait-il ce vert qu’elle imaginait sans le trouver ? À se demander si cette teinte existait vraiment… Elle avait envie de se laisser porter bercer par ces gigantesques feuilles de bananier qui offraient leurs bras accueillants. Peut-être qu’alors, ses paupières mi-closes traversées par les éclats de soleil lui permettraient de se rapprocher de ce qu’elle espérait découvrir. N’étant pas en mesure de réaliser une telle envie (quelle tête aurait fait Joël s’il l’avait vu s’accrocher aux feuilles pour tenter de s’y allonger ? chose totalement impossible, il faut bien le reconnaître), elle fit ce qu’elle faisait toujours dans ces cas-là : elle imagina. Elle vint plus près de l’une de ces créatures végétales, caressa la main qu’elle semblait lui tendre et lui dit bonjour silencieusement. Elle avait toujours pensé que le bananier était un arbre, mais Joël lui avait appris qu’il s’agissait en fait d’une plante herbacée, une des plus grandes. Aussi, s’adressa-t-elle à celle-ci avec respect, comme on le fait en présence d’une grande dame.

A suivre...

 

KinouKachou - Octobre 2017

 

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