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A Fleur de Mots

Littérature

SENSUALITE (Extrait 15)

Par chance, ce matin il ne pleuvait pas, même si le ciel était gris. Elle s’engagea d’un pas tranquille dans le square Vertais qui côtoyait sa maison. Elle n’était pas pressée, elle pouvait prendre son temps. En cette période calme de l’année, son associée avait pris quelques jours de vacances. Elle, de son côté, n’était pas bousculée par le travail non plus. Elle terminait une pièce commandée par un vieil homme un peu énigmatique et celui-ci lui avait assuré qu’elle pouvait disposer du temps qui lui convenait pourvu que le résultat soit enchanteur. Elle avait beaucoup de plaisir à travailler sur cet ouvrage, mais dans l’instant, elle pensait à son œuvre personnelle et au travail supplémentaire qu’allait lui créer  l’arrivée de ce nouvel élément. Car cette feuille comme main tendue remettait tout le tableau en question. Une bonne partie du moins. Elle allait devoir tout redessiner… Elle sortit du square et longea le boulevard des Martyrs Nantais de la Résistance jusqu’à la place Victor Mangin, tourna à droite et traversa en direction de la rue de la Prairie d’Aval. En entrant dans l’atelier, elle commença par allumer le chauffage, car pour travailler avec précision il faut être à l’aise, et l’humidité de l’air lui engourdissait un peu les doigts. Puis elle fit chauffer de l’eau et prépara un grand thermos de thé. Ainsi, la journée allait pouvoir commencer. Elle enfila sa blouse et s’installa devant son travail en cours. La réussite résidait dans le choix des couleurs employées pour ces roses. Le vieil homme lui en avait décrit les notes qu’il souhaitait y retrouver en évoquant un parfum de porcelaine nacrée  caressée par le vent tiède d’un soir d’été. Elle avait souri à ces mots et avait trouvé la métaphore belle, à son goût. Le vitrail qu’elle confectionnait était appelé à habiller une pierre tombale. Pour se projeter au plus près de ce que désirait son client, elle s’était rendue en sa compagnie au cimetière où reposait son épouse. Une tombe blanche, simple, dont la stèle rappelait une porte dotée d’une ouverture en son centre. C’est à cet endroit que serait installé le vitrail. Bulle avait souligné que l’orientation de la dernière demeure de la défunte était parfaite pour laisser passer la lumière qui diffuserait le parfum qu’il souhaitait ressentir. Puis elle avait pris les mesures de l’emplacement et ils étaient repartis. Elle se souvint des mots du vieil homme : « je suis heureux de vous avoir trouvé pour effectuer ce travail. Je crois que vous avez saisi l’essentiel de ma demande ». En y songeant, elle se dit que oui, elle avait capté cette émotion que ce vieil homme éperdu d’amour pour son épouse disparue avait laissé entrevoir dans le regard qu’il promenait sur les mots qu’il employait. C’est en cela que Bulle disait de cet homme qu’il était énigmatique. Elle jugea que ce mot n’était pas vraiment approprié. Un autre, plus subtil, conviendrait sans doute mieux. Elle se prit à réfléchir au terme exact qui pourrait définir ce personnage. Il semblait sorti d’un roman, d’un autre lieu. Il y avait en lui quelque chose de lointain qui frappait dès le premier regard. Ses manières étaient distinguées tout en restant simples, sa parole était posée, ses yeux remplis de bonté. La première fois qu’il se présenta à l’atelier, elle était absorbée par la recherche d’une teinte dans le nuancier et elle ne l’entendit pas entrer. Il attendit patiemment en l’observant. Elle plissait légèrement les yeux sous les éclats du soleil qui transperçaient la palette de verres colorés, semblant elle-même traversée par toute cette lumière. Lorsqu’elle tourna son regard dans sa direction, il s’adressa à elle avec délicatesse, de la manière qu’on parfois certaines personnes cherchant conseil tout en ayant une idée bien précise de ce qu’elles recherchent. Elle fut d’abord surprise par sa demande. Aucune de ses œuvres n’avait jamais été destinée à accompagner un défunt. Mais la singularité de ce vieil homme la toucha et balaya cette première pensée. Cet ouvrage qu’il lui demandait de réaliser avait l’allure d’un bouquet de fleurs que l’on veut offrir à sa belle.

A suivre...

 

KinouKachou - Décembre 2017

             

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