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A Fleur de Mots

Littérature

SENSUALITE (Extrait 18)

 

Elle enfila son tablier, et pas n’importe lequel ! THE tablier !! D’un beau vert pétant, parsemé de piments rouges. Son associée le lui avait offert le Noël dernier en souvenir de son voyage au Mexique. Bulle se souvient qu’elle lui avait aussi ramené un sachet rempli de piments de toutes sortes, du doux subtilement parfumé au plus terrible qui vous enflamme de sa force. Camille avait pris soin de les mélanger, assurant la surprise chaque fois que sa main plongerait dans le sac pour en prélever un. Il y avait eu effectivement quelques surprises au début. Mais Bulle avait toujours eu la délicatesse de les utiliser avec parcimonie pour ne pas risquer de gâcher un plat. Au fur à mesure, elle avait appris à les reconnaître par leur forme et leur parfum et elle avait fini par maitriser leur utilisation. Elle se dirigea vers le jardin pour aller cueillir quelques herbes : du thym, du persil, du romarin, du basilic, de la ciboulette. Un joli bouquet aromatique qui ne laissait jamais indifférent sur son passage. Bulle les rinça soigneusement sous le robinet et les mit à sécher sur un torchon. Elle ouvrit en grand le frigo afin de voir quelles notes étaient disponibles pour écrire sa symphonie.  Car oui ! Cuisiner c’est comme faire de la musique. On compose ! Là, il y avait des tomates, deux petites courgettes, ici un gros poivron rouge et une poignée de piments végétariens. Elle sortit tous ces ingrédients, jeta un œil dans le compartiment congélation et y découvrit des crevettes qui allèrent rejoindre le reste de l’orchestre sur le plan de travail de la cuisine. Tel un chef, elle se planta devant eux, ustensiles en main, réfléchissant à la mélodie qu’elle allait leur demander de jouer. Une envie d’exotisme l’emporta. Des dombrés ! Elle allait faire des dombrés aux crevettes. Les dombrés sont des petites boulettes à base de farine et d’eau que l’on plonge dans une sauce savoureuse de tomates et de crevettes parfumée d’épices.

Bulle prit de la farine qu’elle versa dans un saladier, ajouta du sel puis de l’eau et pétrit quelques instants la pâte jusqu’à ce qu’elle se détache de ses doigts. Elle se lava les mains et s’empressa de réparer un oubli de grande importance : mettre de la musique. Sans hésiter, elle sélectionna sa compilation de Bob Marley. Un son parfait pour accompagner les pas de tout un chacun sur le chemin qu’il a choisi de parcourir. Un son qui chemine près de vous sans vous écarter de votre route, un son qui fait danser votre âme et qui vous inonde d’amour. Se balançant au rythme de la musique, Bulle reprit son activité. Laissant reposer un peu la pâte, elle éminça les oignons, l’ail, le persil, la ciboulette et le basilic. À chaque passage de la lame tranchante, elle recevait un bouquet de fraîcheur aux arômes qui se mariaient avec brio. Elle s’empara ensuite d’une tomate, entailla avec délicatesse sa peau tendue en plongeant dans sa chair juteuse, laissant apparaître son cœur rouge sang parsemé de graines d’étoiles. Un parfum sucré s’en dégageait. Puis elle s’appliqua à détailler le fruit en petits cubes, le plus régulièrement possible. Vint le tour de la courgette. Cette recette n’en réclamait pas vraiment, mais elle aimait la touche verte qu’elle apportait au plat. Elle réduisit l’une d’elle en brunoise et opéra de même avec le poivron et trois piments. De bons légumes achetés au Biocoop du Boulevard Gustave Roch quelques jours plus tôt et qui n’attendaient qu’un air de musique pour les enchanter. Elle rinça et épongea les grosses crevettes qui décongelaient à travers leur sachet dans un bain d’eau fraîche, les déposa dans un plat en y incorporant un peu des aromates qu’elle avait hachés ainsi qu’un filet d’huile d’olive. Une envolée de fleur de sel et de poivre et les belles demoiselles seraient priées d’attendre gentiment tout en s’imprégnant des effluves de la parure qu’elles venaient de recevoir. Bulle reprit le saladier contenant la pâte et commença à confectionner des petites boules. Elle prenait son temps, roulant chacune d’elle avec autant de concentration qu’un potier l’aurait fait pour des pièces d’argile. Elle s’efforçait de leur donner la même taille afin d’obtenir au final une cuisson homogène. Bercée par les notes reggae, Bulle fredonnait There’s a natural mystic blowing through the air… tout en roulant les boulettes de farine sous ses doigts, sans penser à rien d’autre qu’au plaisir qu’elle éprouvait chaque fois qu’elle laissait parler sa fibre culinaire. Cuisiner, c’était aussi comme cultiver un jardin, ou même peindre un tableau, peut-être aussi comme écrire un livre. Elle y mettait toute son attention, toute sa passion, de manière identique à celle qu’elle prodiguait aux vitraux.   

A suivre...

 

KinouKachou - Décembre 2017    

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