SENSUALITE (Extrait 23)

Cette nuit-là, Bulle rêva d’exotisme. Le plat de dombrés dont elle s’était régalée y était sans doute pour quelque chose. Tous les parfums d’épices l’avaient propulsée dans un ailleurs qui ne ressemblait en rien à son quotidien, et pourtant, elle s’y sentait bien, à l’aise, comme chez elle. Elle n’aurait su dire vraiment où se déroulait la scène. Il y faisait chaud et elle était peu vêtue. Une odeur de pluie fraichement tombée s’échappait du paquet de végétation qui peuplait le paysage tandis que le soleil bombardait de ses rayons chaque parcelle se trouvant à sa portée. Cela ressemblait un peu à la grande serre du jardin des plantes, mais une autre énergie y régnait. Quelque chose d’immensément puissant. Elle se fondait dans ce paysage, telle une minuscule feuille parmi les grandes ramures qui se balançaient nonchalamment autour d’elle. Tout était calme, paisible, d’un silence empli de mille sons. Non loin d’elle, elle pouvait entendre le chant d’une rivière… Les images qu’elle retenait de son sommeil lui étaient inconnues, mais étrangement, les perceptions qu’elle en gardait lui paraissaient, elles, familières, réelles. Cette sensation de moiteur sur sa peau, elle ne l’avait jamais ressenti auparavant, et pourtant, elle en gardait un souvenir évident. Dans cette chimère nocturne, il n’y avait pas d’action. C’était plutôt un état de contemplation, comme si on l’avait transportée là, dans cet endroit qu’elle observait de tous ses sens, le faisant sien le temps d’un rêve. La grande dame rencontrée au jardin des plantes quelques jours plus tôt semblait avoir ici bon nombre des membres de sa famille. Elle reconnut la douceur de leurs feuilles, pareilles aux mains tendues de voisins vous souhaitant le bonjour. Elle se retrouvait dans ce mouvement, dans ce souffle d’air chaud qui s’engouffrait dans ses cheveux et les faisait tournoyer au rythme du feuillage, créant un ballet d’une liberté sans limites.

Bulle sourit et s’étira, avec l’impression d’avoir passé la nuit sur un lit de verdure chaud et humide. Elle ne put s’empêcher de respirer son bras tendu devant elle. Elle promena son nez sur sa peau, retrouvant là un parfum d’herbe mouillée légèrement sucrée. Ses cheveux étaient particulièrement emmêlés ce matin, à croire que les mains d’un coiffeur fou  armé d’un peigne à crêper s’en étaient emparées. Son pyjama plaquait sur son dos. Elle avait transpiré. Elle se leva pour vérifier si elle n’avait pas oublié d’éteindre le chauffage avant d’aller dormir. Non, tout était comme à son habitude. Serait-ce ce rêve qui lui collait à la peau ? Faisant glisser le rideau le long de la tringle, elle découvrit un ciel grisou. Quelques petites flaques éparses témoignaient de la pluie tombée pendant la nuit. Une moue de déception marqua son visage et elle pinça les lèvres d’un air boudeur. Elle avait tant envie d’une journée ensoleillée…

A suivre...

KinouKachou - Mars 2018