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A Fleur de Mots

Littérature

L'ATTENTE (Extrait 8)

Ferdinand le Bel tentait de rattraper ce qui lui avait échappé quelques instants auparavant, mais il n’y parvenait pas. Néanmoins, Louise semblait ne rien avoir remarqué. Combien de temps cette absence avait-elle duré ? Suffisamment pour que la soupe refroidisse, songea-t-il. Mais il n’arrivait pas à retrouver le chemin qu’il avait emprunté. Il se souvenait seulement que Louise lui avait servi un verre d’eau, puis qu’elle était partie dans la salle de bain ; il avait trempé sa cuillère dans son assiette de soupe brûlante, et la seconde d’après, Louise était près de lui et son potage était tout froid. Il dirigea ses pensées vers Rosalie, espérant un peu d’aide de sa part (il était sans doute allé la rejoindre durant ce moment d’errance), mais là aussi, ce fut le vide et le silence. C’était la première fois qu’une telle confusion s’emparait de lui. Il réalisa qu’il avait été seul dans cet espace qui échappait à sa mémoire. Sans personne, sans souvenirs, sans pensées, sans sentiments. Cet instant était une parenthèse de rien. Cela ne le rendait même pas triste. Comment aurait-il pu être triste de quelque chose qui était sans consistance ? C’était comme un temps qui n’aurait pas existé. Il n’en restait qu’un potage froid pour prouver sa non-existence. Il écarta le pot de yaourt qu’il venait de manger sans en avoir eu conscience et resta dubitatif une fois de plus à la vue de son assiette à laquelle il n’avait pas touché. Vraiment, cet épisode était un mystère…

Madame Yolande apporta une infusion de tilleul, et après son départ, Ferdinand le Bel se glissa dans son lit. Près de lui, sur la table de chevet, était posée sa lecture du moment : Le prophète de Khalil Gibran. Il s’en saisit et l’ouvrit à la page marquée. Ce passage traitait de la liberté et disait : Vous serez libre en vérité non pas quand vos jours seront sans tourments et vos nuits sans un désir ou un chagrin, mais davantage quand ces choses étrangleront votre vie, et que pourtant vous vous élèverez au-dessus d’elles, nu et sans entraves. Et comment vous élèverez-vous au-delà de vos jours et de vos nuits, à moins que vous ne rompiez les chaînes que vous-même, à l’aurore de votre entendement, avez fixé autour de votre âge mûr ? Il se mit à réfléchir. Toute sa vie, il avait dépendu de quelqu’un, d’une manière ou d’une autre. Quel comble pour un homme si épris de liberté ! Il n’avait jamais vécu seul. Son premier amour d’adolescent, son unique amour, l’avait conduit du cocon familial de l’enfance à la vie de couple. Après l’affection parentale, il s’était accroché à celle de sa femme. Pas étonnant que sa perte l’ait tant affecté. Il en avait perdu tous ses repères (d’où ses errances dans ses souvenirs pour ne pas perdre pied). Cette liberté dont parlait l’auteur, il l’avait atteinte. Elle était en lui, dans son plus profond. L’absence de Rosalie l’étranglait, mais il s’élevait au-dessus de ce manque, brisant ainsi les chaînes de douleur. Le livre s’était refermé et le marque-page s’en était échappé. Ferdinand le Bel l'ouvrit au hasard et la parole qui se présenta à lui fut celle-ci : Plus profonde est l’entaille découpée en vous par votre tristesse, plus grande est la joie que vous pouvez abriter. Pas étonnant que mes rêveries m’apportent tant de bonheur, se dit-il. L’auteur énonçait que la tristesse et la joie étaient inséparables. Il écrivait : elles viennent ensemble, et si l’une est assise avec vous, à votre table, rappelez-vous que l’autre est endormie sur votre lit.

A Suivre...

KinouKachou Janvier 2017

 

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