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A Fleur de Mots

Littérature

L'ATTENTE (Extrait 16)

Sa main rencontra ensuite une pochette de tissu brodé. Il la caressa du bout des doigts, avec le sentiment que tout son cœur était là. Les lettres de Rosalie… celles qu’elle lui avait envoyées quand il faisait son service militaire. Il écarta le petit paquet avec délicatesse en murmurant : « pas maintenant… Je les lirai ce soir avant de dormir. Elles berceront mon sommeil » et il glissa la pochette sous son oreiller. Dans cette valise, il y avait bon nombre de petits objets divers qui l’avaient accompagné durant des années, plus longues pour certains que pour d’autres : un couteau, des boutons de manchettes, une fleur en tissu provenant d’un chapeau de Rosalie, son dernier bâton de rouge à lèvres rose pâle, les premières cartes de fête des Pères que ses enfants avaient confectionnées pour lui à l’école. Il y avait même ce cœur en bois qu’il avait taillé pour l’offrir à Rosalie à l’occasion de ses quinze ans. Il y avait mis tout son jeune amour et il avait duré jusqu’à aujourd’hui. Il baladait son regard sur tous ces petits détails qui, à leur manière, témoignaient de son existence, quand on frappa à la porte. Christophe entra, la mine resplendissante, l’air jovial. Voyant son père refermant la valise, il lui dit en plaisantant : « Tu pars en voyage papa ? » ce à quoi Ferdinand le Bel répondit avec malice : « Sait-on jamais… Dans ce cas, ma valise sera prête ». Ils s’embrassèrent de la façon qu’ont parfois les hommes qu’une trop grande pudeur habite : d’une accolade réservée, mais néanmoins appuyée. Puis Christophe annonça :

 

—J’ai une surprise pour toi aujourd’hui. Deux même ! Que dirais-tu si je t’emmenais manger à Meyreuil ? Il y a longtemps que tu n’y as pas mis les pieds.

 

—Tu ne pouvais pas me faire plus plaisir ! Et la deuxième surprise alors, c’est quoi ?

 

—Oh ! Mais vous allez un peu vite en besogne Monsieur Le Bel. Une chose à la fois, voulez-vous ? Bon, tu es prêt ? On peut y aller ?

 

Durant le trajet, ils parlèrent de tout et de rien, sans se dire grand-chose vraiment. Ferdinand Le Bel était impatient pourtant, craignant de n’avoir d’autres occasions dans le futur, mais il savait qu’il était inutile de brusquer son fils. Il avait toujours besoin de temps pour se mettre en condition, pour sortir de la spirale infernale que son rythme de travail lui imposait. Il avait pourtant l’air plus calme aujourd’hui, plus posé. En arrivant sur le parking du Mas du Meyreuil, il gara sa voiture et dit à son père :

 

—Sais-tu que la spécialité de ce restaurant est le pied de cochon grillé au feu de bois ? Je suis sûr que l’on ne te sert pas ce genre de plat au Val des Sources.

 

—Fan de chichourle ! Du pied de cochon… ça date de l’an pèdre la dernière fois que je m’en suis régalé.

 

Christophe avait réservé une table à l’ombre d’une tonnelle sur laquelle s’accrochait un jasmin dispensant son parfum délicat. Son père le félicita pour le choix de l’endroit. Les tables étaient assez espacées les unes des autres ce qui offrait suffisamment d’intimité pour pouvoir converser sans en faire profiter la clientèle alentour. Christophe proposa un apéritif et Ferdinand Le Bel accepta avec plaisir. Lorsque la serveuse apporta l’anisette, Christophe inonda d’eau fraîche le liquide transparent qui se révéla d’une blancheur immaculée. Puis il leva son verre en disant : « Nous allons trinquer à la deuxième surprise ».

 

 

A Suivre...

 

KinouKachou - Mars 2017

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