L’ATTENTE (Extrait 38)

Elle comprit à ce moment-là que cette rencontre resterait la plus importante de sa vie, que ce vieil homme, ou plutôt cette âme croisée sous les traits de ce vieil homme demeurerait à jamais gravé en elle. Elle se rendit compte aussi de la chance qu’elle avait de vivre une telle communion…

À compter de ce jour, la relation entre ces deux-là, même s’il n’y paraissait rien aux yeux des autres, prit un goût d’éternité. Comme par hasard, mademoiselle Sandrine passait toujours par là quand il avait besoin d’être secouru de ce raz de marée qui tentait de l’emporter chaque fois un peu plus loin. Il ne sursautait plus, lorsqu’il refaisait surface, si la première chose qu’il voyait était les yeux de la jeune aide-soignante. Ils n’étaient plus chargés que d’inquiétude, mais aussi de compréhension, et cela le rassurait. Ses égarements passaient donc souvent inaperçus pour qui ne s’y penchait pas plus,  car la transition entre les deux états qui occupaient sa personne se faisait sans stress avec l’aide de la jeune femme. « C’est comme si nous étions à bord d’une voiture de course, lui chuchota-t-elle un jour. Vous pilotez et je suis votre copilote, juste là pour vous guider ». Cette complicité qui s’était installée entre eux rendit les journées de Ferdinand Le Bel plus légères. Cette fée veillait sur lui afin qu’il ne s’égare pas trop et trouvait toujours les mots qu’il fallait pour le ramener en douceur de ses évasions. Elle prit sur elle de ne pas signaler les absences de plus en plus fréquentes du vieil homme. Qu’est-ce que cela aurait changé ? Pas grand-chose… Quand l’heure sonnerait, elle le laisserait partir dans les bras de la sirène qui ne manquerait pas de venir le chercher. Elle savait, sans équivoque, que lorsque ce jour arriverait, il ne saisirait pas la main qu’elle lui tendrait et elle ne tenterait pas de lui sortir la tête de l’eau.

A suiivre...

KinouKachou - Juillet 2017