SENSUALITE (Extrait 28)

Bulle avait vécu seule avec sa mère. Son père... elle le voyait par intermittence. Elle comparait sa présence à un beau gâteau coupé en multiples parts dont elle n'avait le droit d'en prendre qu'une de temps en temps. Ses visites lui laissaient toujours un goût de trop peu dans la bouche. Le séduisant Marco faisait partie de ceux que l'on appelle les gens du voyage. Il était acrobate dans un grand cirque dont la tournée passait par Nantes et ses alentours. Il avait séduit la mère de Bulle un soir de fin d'été où les étoiles filaient dans le ciel comme courent les chevaux sauvages. Il était si beau avec ses longues mèches de cheveux noirs qui lui balayaient le visage et ses yeux aussi sombres qu'une nuit sans fin ! La belle n'avait pas résisté. Elle savait pourtant qu'elle ne le retiendrait pas. Quand la troupe leva le camp à la fin de la saison estivale, il embrassa Jeanne, lui promettant de revenir la voir. Il tint promesse et, quelque huit mois plus tard, lorsque le cirque s'installa à nouveau dans la ville, il retrouva la demoiselle, le ventre arrondi d'une belle grossesse touchant à son terme. À la naissance de l'enfant, il reconnut la chair de son sang, lui donna son nom, mais il avoua qu'il ne resterait pas. Sa vie était sur les routes. Il assura toutefois qu'il prendrait régulièrement des nouvelles et rendrait visite chaque fois qu'il le pourrait. C'est ainsi que Bulle vécut son enfance, dans la douceur d'un petit nid que sa mère avait construit pour leur assurer un quotidien paisible qui, chaque année à l'approche des grandes vacances, se voyait bousculé par l'arrivée de celui qui faisait battre la chamade dans leur cœur, leur héros, leur amour impossible. Les premières années, il s'installait dans leur logement durant son séjour. Bulle se plaisait à imaginer qu'un jour il ne repartirait pas. Lorsqu'il était là, sa mère se transformait. Elle se faisait belle dès le matin, éclatait de rire pour presque rien, et ses yeux pétillaient d'un éclat qu'ils semblaient perdre lorsqu'il s'en allait. Durant ces vacances, Bulle avait l'impression d'avoir une vie normale, avec une maman et un vrai papa. Mais contrairement à ce qu'elle espérait, lorsqu'elle eut sept ans, il dit que dorénavant, il prendrait Bulle au campement pendant sa tournée. Elle avait bien remarqué que lors de ses passages, la magie qui habituellement envahissait la maison avait disparu. Terminé les fous rires de sa mère, et les promenades en famille aussi. Le plus souvent, son père l'emmenait au parc ou au cinéma, mais ils y allaient seuls. Jeanne les accompagnait rarement. Elle ne voyait plus toutes ces étoiles qui l'avaient envoûtée dans les yeux de Marco, et son regard glissa lentement pour se tourner ailleurs.

A suivre...

KinouKachou - Septembre 2018